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mercredi 1 avril 2015

Le choix des partenaires

Il est toujours agréable de travailler avec un partenaire que vous connaissez et qui vous comprend. Il ou elle peut se montrer coopératif ou même secourable pour un problème particulier à un stade donné de votre formation. Il est donc naturel de chercher des partenaires de votre propre niveau.

Cependant, si l’on doit faire des progrès à l’entraînement, en particulier dans le développement d’une base physique solide et de mouvements dynamiques et souples, une pratique idéale devrait inclure beaucoup d’éléments différents. À cet égard, certains des concepts de base généralement compris dans les arts martiaux japonais doivent être considérés avec soin.

D’abord, vous devriez pratiquer avec des partenaires qui s’entraînent à un niveau plus avancé.

Dans cette façon de pratiquer, gardez un esprit ouvert aux caractéristiques personnelles de votre partenaire, qui varient selon chacun. Formez vos yeux aux différentes expressions de l’art et aux raisons qu’il y a derrière, comme le sexe, l’âge, la taille, le poids, la mentalité, la personnalité, la nationalité, l’historique de l’entraînement, et la condition physique.

Cultivez vos capacités d’observation. Pratiquez et exercez votre technique avec le maximum d’effort, de sorte que vous en arriviez à connaître vos limites et que vous appreniez à les dépasser. (Si vous ne connaissez pas vos limites, vous ne pouvez pas travailler avec elles). Apprenez la forme d’ukemi qui puisse répondre aux différents styles de pratique.

Ensuite, pratiquez avec des partenaires qui sont à peu près de votre niveau.

Appliquez ce que vous avez appris et confirmez le processus d’apprentissage. Essayez de voir vos propres problèmes et vos faiblesses, à chaque étape, comme s’ils devaient se réfléchir dans vos partenaires.

Observez attentivement quand d’autres, d’environ votre niveau, surmontent un problème particulier, et essayez de découvrir comment il a été résolu. Cette façon de surmonter un problème n’a pas seulement trait à la technique, mais spécialement aux progrès d’un niveau de conscience physique plus élevé.

Enfin, entraînez vous avec des partenaires qui pratiquent à un niveau moins élevé que vous.

Confirmer votre compréhension des techniques de base et appliquez les avec le minimum d’effort. Apprenez à vous contrôler vous-même et cependant à rendre la technique efficace. Pratiquez particulièrement avec les débutants qui n’ont aucune préconception du mouvement, de sorte que vous puissiez étudier la faisabilité et la précision du mouvement.

Dans chacune de ces trois formes de base d’entraînement, gardez une attitude souple.

Exercez-vous avec des pratiquants plus grands, plus lourds, de la même taille ou plus petits que vous. Par dessus tout, gardez l’opportunité de revenir à l’esprit du débutant. Pour appliquer correctement les concepts indiqués plus haut, je conduis généralement les cours de façon que les étudiants changent de partenaires fréquemment, au moins deux fois pour la même technique.

Je considère qu’il est souhaitable que les élèves pratiquent autant que possible avec chaque personne présente sur le tapis, dans n’importe quel cours.

D’une façon générale, il y a deux formes d’entraînement dans lesquelles les directives ci-dessus seront applicables.

La première est quand vous recevez l’enseignement d’un professeur, c’est-à-dire pendant un cours normal. La seconde est la pratique libre.

Dans la pratique libre il y a deux éléments : le travail avec quelqu’un, et la pratique solitaire. La pratique sans partenaire, quoique précieuse, particulièrement dans l’étude des armes, n’est pas l’objet de cet essai en particulier.

Habituellement, la pratique libre se déroule à la fin d’un cours, pendant environ les dix dernières minutes. Son but est de confirmer immédiatement ce qui a été enseigné pendant le cours. Cependant, la pratique libre n’est pas limitée au temps relativement bref qui lui est imparti pendant le cours, mais elle devrait inclure cette part d’entraînement menée en dehors du programme de cours. Sans doute, un aïkidoka remarquable est celui qui a utilisé autant qu’il le pouvait la pratique libre comme façon de s’entraîner, avec d’autres ou seul.


Chiba Senseï

dimanche 1 mars 2015

Découvrir le corps

Le texte qui suit (source Aikikai de Strasbourg), est la traduction (par Luc Boussard) d'un article de Chiba Sensei, écrit à l'occasion du camp d'été 2000 de l'USAF-WR (la fédération d'aïkido pour la côte ouest des États-Unis).

Celui qui pense qu'il obtiendra de meilleurs résultats en aïkido s'il consacre davantage d'heures à la pratique pense comme un enfant. C'est une attitude matérialiste qui en fin de compte ne mène à rien d'autre qu'à un problème insoluble. On peut accumuler autant d'heures de pratique qu'on voudra, cela n'empêchera pas qu'on se rapproche de la tombe jour après jour.

Beaucoup de pratiquants s'imaginent que l'aïkido va leur permettre d'acquérir un corps qui réagit bien, qui obéit et qui se déplace avec aisance. Je ne nie pas que le corps doive apprendre à réagir. Mais ce n'est qu'une partie de l'apprentissage, une partie qui dépend de quelque chose de plus vaste, qui est l'apprentissage de l'introspection, la pratique assidue de l'observation de soi. Pour le meilleur ou pour le pire, notre corps est à bien des égards le produit de notre conscience, selon un processus dont la compréhension passe obligatoirement par l'observation assidue de soi-même pendant la pratique. Il ne sert à rien de d'ajouter de l'extérieur toujours plus d'informations, de détails, de pouvoir, etc. au trop-plein qui est déjà là.

Sentir par le corps qu'il existe un déséquilibre, une disharmonie ou un désordre dans son propre système, ainsi qu'entre le corps et la conscience, constitue un point de départ pour progresser. On peut comparer l'acquisition de cette perception à une conversation entre le corps et la conscience. À mesure que le dialogue s'instaure, l'esprit devient plus clair, plus éveillé, et on commence à percevoir la puissance naturelle, les capacités potentielles, qui étaient restées cachées jusque-là. Au lieu d'ajouter un élément extérieur, de transformer le corps pour l'adapter à ses désirs ou à sa volonté, on se contente de regarder ce qui se trouve déjà dedans. Plus important encore, la conscience elle-même - la manière dont chacun perçoit - commence à changer à mesure qu'on découvre le "vrai" corps, par opposition au corps dont les transformations sont le fruit de la volonté personnelle.

L'élément vital, unique, qui fait de l'aïkido ce qu'il est, réside dans le fait que le progrès accompli dans l'art est proportionnel à la découverte de ce pouvoir naturel qui, à côté d'un noyau organique, dynamique, préexiste en chaque individu. C'est ce vrai corps qui aide le corps à fonctionner en harmonie, comme un tout.

Celui qui suit le chemin de l'aïkido rencontre peu à peu, dans l'émerveillement et la joie, le vrai soi, le soi caché, l'autre soi au potentiel inépuisable, qui, chez bien des gens, reste si profondément enfoui qu'ils meurent sans en avoir jamais soupçonné l'existence.

Le sujet dont je parle ce matin est traité avec une grande profondeur par Dogen Zenji, le fondateur de l'école soto du zen, dans le passage suivant : "Pratiquer avec le corps est plus difficile que pratiquer avec l'esprit. La compréhension intellectuelle qui est le fruit de l'apprentissage par l'esprit doit être intégrée dans la pratique par le corps. Cette unité est appelée shinjutsunintai, le corps réel de l'homme. C'est l'esprit de tous les jours qui perçoit le monde phénoménal. S'il y a harmonie entre la pratique de l'éveil et le corps, le monde entier est vu dans sa vraie forme."

En fin de compte, la découverte du vrai corps, de sa valeur et de sa beauté ne doit pas être un objet de comparaison ou de compétition ; elle existe de son existence propre à l'intérieur de chacun. Il en découle tout naturellement que l'étude de l'art de l'aïkido exclut la compétition. Il y a quelques années, j'ai eu la chance d'assister à une conférence donnée par un maître zen vietnamien au Smith College, à Hampshire, dans le Massachusetts. Lors de la séance de questions-réponses, une femme s'est levée et lui a demandé ce qu'il pensait de la méditation pratiquée par les quakers. Il a répondu "comment voulez-vous comparer la beauté d'une fleur de cerisier à celle d'une rose?"


Chiba Senseï, 2000

samedi 31 janvier 2015

Shoshin, l'esprit du débutant

Parmi les mots que nous utilisons habituellement et sont prétendument compris, il y a ceux qui, lorsque l’on se penche attentivement dessus pour définir leur sens, montrent combien notre compréhension reste vague et peu claire.

Sans doute le mot “Shoshin”, que l’on utilise couramment dans les arts martiaux est un de ceux-là. Il est admis que “Budo” (art martial) commence avec Shoshin et finit avec Shoshin. Cependant, on ne peut comprendre “Budo” sans avoir au préalable une définition précise du sens de Shoshin.

Voilà une description de la signification des deux kanjis qui composent Shoshin:
Sho signifie commencement ou origine,
Shin signifie esprit, âme ou attitude,
et on traduit Shoshin par “l’esprit du débutant”.

Cela dénote l’esprit (l’âme ou l’attitude) du débutant parfait quand il commence l’entraînement au Budo. C’est empreint de modestie, d’humilité, de sincérité et de pureté, et d’une avidité à chercher le chemin.

Au Japon, habituellement, la discipline du Budo est, ou est supposée être, austère et dure, nécessitant de nombreuse d’années de formation pour le maîtriser. Dans Shoshin on trouve un esprit d’endurance, de sacrifice, de dévotion, et de maîtrise de soi. Pourquoi les Japonais voient-ils l’entraînement au Budo de cette façon ? (au contraire de l’attitude américaine où, en général, le plaisir et l’agréable viennent en premier). Les Japonais comprennent qu’il est impossible de maîtriser un art sans la détermination de passer par de nombreuses années de pratique, traversant diverses étapes, et que cela nécessite d’aller aux limites physiques de chacun, et parfois même au delà. Ils savent reconnaître également que dans l’accomplissement final de la maîtrise physique de l’art, il y a une réalisation spirituelle qui peut vous emmener plus loin.

L’état atteint par cette réalisation spirituelle, le plus haut degré de Budo, est souvent formulé comme “Mushin”, ou état de Non-Mental. On le représente par l’image d’un miroir limpide reflétant toute chose passant devant lui exactement comme elle est. L’état de Non-Mental reflète tout qui passe devant lui, allant ou venant, sans interférence de volonté ni regard préconçu. Cependant, il y a une différence importante entre un miroir statique et cet état d’esprit actif. L’esprit actif répond spontanément et simultanément à l’image reflétée sans attachement ou interférence, vrai ou faux, gain ou perte, vie ou mort. Ce qui rend cet état plus difficile à atteindre est que cela exige que le mouvement physique (technique) accompagne simultanément l’esprit répondant aux images qui se reflètent sur lui.

L’état d’esprit comme un miroir clair, ou l’état de Non-Mental, peut être atteint par d’autres disciplines spirituelles telles que la méditation. Ce qui rend le Budo unique, cependant, se rencontre dans l’incarnation simultanée et inséparable de l’esprit et du mouvement physique (la technique). Cette étape de la formation est connue comme le Sabre du Non-Mental, ou Sabre de Non-Forme, ou même connue comme le Sabre dans un Rêve. C’est seulement quand cette étape est atteinte que l’on considère que son propre art est achevé.

Shoshin est l’esprit ou l’attitude requis pour suivre l’enseignement. Cela comprend sincérité, modestie, humilité, franchise, endurance, sacrifice, et maîtrise de soi, inaltérés par l’obstination, le jugement ou la discrimination. C’est comme une pièce de soie blanche et pure avant qu’elle ne soit teinte. C’est aussi une condition importante de la première étape, dans laquelle un débutant apprend à intérioriser les bases avec précision, point par point, ligne après ligne, avec une foi immuable dans l’enseignement.

Shoshin, cependant, n’est pas seulement l’état d’esprit requis pour un débutant, mais doit être présent à chaque étape de la formation. La manifestation de Shoshin varie donc selon le statut de chacun, selon que l’on soit un élève débutant, mi-avancé, ou avancé. Ce qui est le plus important, c’est que l’on devienne, en fin de compte, un corps tourné vers l’intérieur et l’extérieur, se développant finalement en Esprit de Non-Mental. C’est l’accomplissement de la formation du Budo.

La détermination de chacun à se tenir fermement à l’esprit du débutant est un facteur clé dans l’accomplissement de ses propres études. Mais comme cela est difficile à faire ! Cette détermination est très vulnérable à la renommée, la position, ou le rang, et peut être perdue par l’arrogance et la vanité.

Comme n’importe quoi d’autre, Shoshin rencontre et expérimente divers défis et peut battre en retraite, s’affaiblir, décliner, ou se briser. Il peut également devenir plus clair et plus fort.
Il est essentiel de maintenir une attitude introspective stricte tout au long de l’étude pour empêcher Shoshin de décliner ou de se briser. Il est nécessaire d’être décidé, se traînant hors d’une crise, et pas simplement une fois, mais deux fois, trois fois, de continuer à avancer. La perte de Shoshin signifie l’arrêt du développement et ceci se produit presque toujours où et quand on ne peut le reconnaître. C’est une caractéristique de la perte de Shoshin. C’est à la fois un signe et un résultat de l’arrogance humaine.

Si l’arrogance est la cause principale de la perte de Shoshin, la modestie, sa contrepartie, est nécessaire à le maintenir. Un esprit modeste est celui qui reconnaît la profondeur du chemin, connaît la peur, et connaît l’existence de quelque chose au delà de sa propre réalité, tout en continuant à prendre en main son développement interne.

Chiba Senseï

Sansho, Vol.6, n°2, 1998

vendredi 2 janvier 2015

Du désespoir de demeurer dans l'ignorance

Le mot « ignorance » se rapporte à l'absence d’éveil, c'est-à-dire à l'illusion.

« Demeurer » fait référence au lieu permanent, le lieu où l'esprit s'arrête. Dans la pratique bouddhique, il existe cinquante-deux états, et au cœur de chacun d'eux, un lieu où l'esprit s'arrête appelé lieu permanent. Demeurer signifie alors « arrêt » et arrêt implique que l'esprit s’est laissé prendre par quelque chose, qui peut-être n'importe quoi.

Pour rapprocher cela de votre art martial, lorsque vous prenez soudain conscience que le sabre descend pour frapper, la volonté de contrer le sabre dans l'instant, arrêtera votre esprit sur la position du sabre à cet instant particulier, vos mouvements ne pourront aboutir et votre adversaire réussira à vous pourfendre. Tel est le sens de l'arrêt.

Alors même que vous voyez le sabre descendre pour vous frapper, si votre esprit ne se laisse pas prendre et que vous percevez le rythme du sabre qui vous attaque ; si vous ne pensez pas à frapper votre anniversaire et qu'aucun jugement ou pensée  ne vous traverse ; si à l'instant où vous voyez le sabre descendre, votre esprit n'est en aucune manière prisonnier de quoi que ce soit et que vous avancez droit pour arracher le sabre des mains de votre ennemi ; le sabre qui descendait pour vous frapper devient votre propre sabre, et, a contrario, le sabre qui frappe votre adversaire.

En zen, il est dit, « attraper la lance et, inversement, transpercer l'homme qui était venu vous transpercer. » La lance est une arme. Le sens de tout ceci est que le sabre que vous avez arraché des mains de votre adversaire est devenu le sabre qui l’a pourfendu. C’est ce que vous appelez, dans votre école, « le non-sabre. »

Que ce soit par la frappe de l'ennemi ou par votre propre coupe, que ce soit par l'homme qui frappe ou le sabre qui coupe, que ce soit par la position ou le rythme, si votre esprit se laisse distraire de quelque manière que ce soit, vos actions seront hésitantes, et vous courrez le risque d'être tué.

Si vous vous placez devant votre ennemi, votre esprit risque d'être attiré par lui. Votre esprit ne doit pas demeurer à l'intérieur de vous-même. Renforcer l'esprit à l'intérieur du corps ne doit se faire qu’aux premiers jours de l'entraînement alors que vous n'êtes encore qu'un débutant.

L’esprit peut être attiré par le sabre. Si votre esprit se laisse entraîner par le rythme du combat, il peut vite en devenir prisonnier. Si vous placez votre esprit dans votre sabre, il risque d'être pris par votre propre sabre. Si votre esprit s'arrête en l'un de ces lieux, vous n'êtes plus qu'une coquille vide. Vous avez certainement déjà vécu de telles situations. Il est possible de dire qu'elles s'appliquent parfaitement au Bouddhisme.

Dans le Bouddhisme, nous appelons « illusion » l'arrêt de l'esprit. C'est pourquoi nous parlons, « du désespoir de demeurer dans l'ignorance. »

Extrait de L’Esprit Indomptable,
Takuan Soho,
Editions Budo, 2001